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RÉSUMÉ
En 1973, Stanley Gibb a qualifié l’intermédia comme une œuvre qui consiste en une interdépendance entre les éléments et une fusion des différents matériels en présence. Les échanges entre les sens sont intégrés dans la perception, sans prédominance de l’un ou l’autre. En réponse à l’abondance et à la diversité incessante dans la création d’intermédia, nous proposons de consacrer le numéro 14 de la revue Musimédiane aux analyses approfondies des œuvres de ce genre qui, jusqu’à présent, restent en marge de l’exploration analytique de la musicologie en raison de leur caractère hybride et en dehors des catégories classiques. Nous n’espérons pas épuiser le sujet, mais souhaitons établir un premier parcours approfondi destiné à soulever les enjeux et à proposer des méthodes d’analyse de ces œuvres, tout en préparant d’autres terrains de réflexion qui sont une partie intégrante de la recherche musicologique.
ARGUMENTAIRE
Hormis l’utilisation de nouvelles technologies et nouveaux médias, deux tendances majeures caractérisent la création artistique des cinquante dernières années. L’une explore les échanges entre domaines artistiques à travers une diversité de formes d’expression fondées sur les rapports et interactions entre son, image et geste, pouvant se traduire par une véritable osmose entre les différents types de perception. L’autre tend vers l’abolition de la distinction entre « l’art » et le « non art » sous la poussée d’un phénomène d’esthétisation et de théâtralisation d’autres champs culturels (médias, sciences, technologies, sport, politique, etc.).
Des formes d’art s’expriment ainsi par des phénomènes d’intermédialité et d’intersensorialité, de multidisciplinarité et d’indisciplinarité, c’est-à-dire par la recherche d’une transgression des limites, des frontières entre domaines artistiques, mais également entre différents types de perception et de réception. Face à une telle situation de pluralité de démarches hors de l’hermétisme de disciplines clairement définies et de doctrines esthétiques, il est nécessaire de développer une approche transversale, d’analyser les pratiques artistiques interdisciplinaires et les discours théoriques et critiques.
La notion d’intermédia accompagne le phénomène de création depuis plus d’un siècle. Elle est théorisée par le performeur, compositeur et co-fondateur de Fluxus, Dick Higgins, dans les années 1960 (« The Intermedia Essay », dans The Something Else Newsletter, 1, 1966 ; Postface : un journal critique de l’avant-garde, 1964), qui a également noté que ce terme apparaît en 1812 chez le poète et critique britannique Samuel Taylor Coleridge pour évoquer des pratiques où s’opère une convergence entre plusieurs champs d’activités. L’œuvre intermédiale est pour Higgins la pratique qui repose sur au moins deux médias explicites (par exemple la poésie concrète et sonore, la partition graphique, le happening etc.). Higgins développe en 1983 la notion de « l’interpénétration de l’art et de la vie, aussi bien que l’interpénétration des médias entre eux » dans l’ouvrage The Poetics and Theory of the Intermedia. En 1973 Stanley Gibb apporte une distinction entre l’œuvre inter-, mixed- et multimédia. L’intermédia émerge dans un processus des interactions des disciplines, contrairement à l’œuvre multimédia, respectant l’individualité des pratiques confrontées, et mixed média, dans laquelle existe une relative dépendance entre les éléments, qui se mélangent sans vraiment être intégrés entre eux. (Stanley Gibb, Understanding Terminology and Concepts Related to Media Art Forms, 1973).
De nouvelles notions comme le trans-, cross -, hyper- , média- ou immédia- se manifestent dans le contexte de l’intermédia. La création de cette dernière est également au cœur de la création numérique exécutable par un ordinateur, ce qui a considérablement élargi la conception d’origine d’avant-garde de Fluxus, créant un changement épistémologique et la nécessité d’apporter une réflexion plus approfondie, non pas uniquement théorique, mais ciblée sur l’œuvre elle-même, son existence et sa manière d’être dans les étapes de production, d’interprétation, de réception et de postproduction.
Dans le cadre de la revue Musimédiane, ce numéro 14 a pour objet d’analyser l’intermédia et ses diverses formes de la création jusqu’à la réception. Étant donné que les archives et les bibliothèques (sauf de rares lieux spécialisés) restent inopérantes face à ce phénomène de création (l’œuvre intermédiale est souvent mal archivée et présentée, voire exclue du fond), une partie de ce questionnement sera consacrée à la problématique de l’archivage et de la pérennisation. Des analyses de ces œuvres s’imposent, ainsi que des propositions de taxonomies et de transmissions pédagogiques. Quels sont aujourd’hui les outils méthodologiques permettant d’appréhender et d’apprécier à sa juste valeur cette production artistique particulière ?
Nous proposons aux auteurs quatre axes de réflexion :
– Axe 1 : Le déclin de l’objet dans les musiques et œuvres d’art contemporaines ;
– Axe 2 : Les différents aspects d’une crise du langage dans les musiques et œuvres d’art ;
– Axe 3 : La synthèse des arts à travers différentes approches artistiques ;
– Axe 4 : La synesthésie, les conjonctions sensorielles et leur impact sur les œuvres.
Nous encourageons pour ce numéro thématique l’utilisation de méthodes transdisciplinaires et interdisciplinaires associées à des créateurs qui opèrent volontairement en marge de tout système. Nous invitons les auteurs à tirer parti du caractère « intermédial » de Musimediane pour dépasser le cadre traditionnel du texte en l’élargissant à toutes formes de médialités. Il sera possible de croiser les approches des différents axes au sein des propositions.
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE
GIBB, Stanley, « Understanding Terminology and Concepts Related to Media Art Forms », The American Music Teacher, avril-mai (1973), p. 23-25.
HIGGINS, Dick, The Poetics and Theory of the Intermedia, Carbondale, Southern Illinois University Press, 1983.
CHARLES, Daniel, « De Joan Miró à Francis Miroglio, graphique de la projection », Les Cahiers du CREM, 6-7 (1987-1988), p. 100.
CALENDRIER PRÉVISIONNEL
Date limite d’envoi des propositions (titre et résumé de l’article projeté d’une longueur maximale de 1500 signes espaces compris, accompagné d’un descriptif technique des médias inclus dans l’article) au comité de rédaction (à l’adresse redaction@musimediane.com) : 31 janvier 2024
Réponse du comité de rédaction aux auteurs sur la pertinence et la faisabilité du projet : 15 février 2024
Envoi d’un article définitif rédigé en français ou en anglais et répondant aux instructions aux auteurs : 31 mai 2024
Retour des évaluations par le comité scientifique : 30 juin 2024
Retour des articles définitifs prenant en compte les évaluations : 31 juillet 2024
Publication prévisionnelle : fin septembre 2024
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[English version coming soon.]